La véritable histoire du vase de Soissons (487)

 

 "Suivons la première opération militaire. De même que son père Aegidius avait été reconnu comme « roi des Francs » entre 451 et 459 par les (Francs)Saliens durant l’absence de Childéric, Syagrius était qualifié de « roi des Romains » par les troupes romaines composées de lètes, gentiles et autres Barbares implantés sous forme de garnisons, sans compter des citoyens gallo-romains. Le titre de roi — sous-entendu fédéré avec Rome — était attribuable aussi bien à un Romain qu’à un Franc, ce qui permet de prendre conscience de l’interpénétration mutuelle des deux civilisations. Deux rois, Syagrius et Clovis, portant le même titre par hérédité, vont lutter l’un contre l’autre. (…)

La guerre fut rude avec, évidemment, réductions en esclavage, destructions et pillages, y compris des églises. L’occupation du « royaume » de Syagrius dut concerner toutes les cités du sud de la Belgique Seconde, y compris celle de Reims, encore que le détail des opérations militaires de l’année 486 soit inconnu. « Beaucoup d’églises furent pillées par l’armée de Clovis, parce qu’il était encore enfoncé dans les erreurs du fanatisme », dit Grégoire de Tours —  après son baptême, Clovis devait interdire de piller les églises. Un vase liturgique (urceus), probablement en argent, fut enlevé dans un édifice de culte situé dans le diocèse de Reims. Frédégaire (III, 16) et le testament de saint Remi montrent que le soi-disant vase de Soissons venait en réalité de Reims. Grégoire de Tours ne dit nulle part qu’il fut pris dans la cathédrale de Soissons. En revanche, tout le butin, parmi lequel cette coupe qui servait probablement à contenir les pains et offrandes des fidèles, fut réuni sur l’ordre du roi à Soissons. Remi avait envoyé un messager pour réclamer la restitution de l’objet. Mais les règles de partage du butin entre les soldats et le roi étaient strictes. Chacune des parts était tirée au sort, y compris celle du roi qui représentait probablement le cinquième du total, comme ce fut le cas plus tard en Espagne wisigothique. Clovis espérait que le tirage au sort lui accorderait dans sa part le vase. Ce ne fut pas le cas. Il le réclama alors hors part. Il voulait favoriser l’Église, et particulièrement celle de Remi, en application du programme que celui-ci lui avait fixé dans sa première lettre. La majorité de l’armée approuva le chef vainqueur et voulut lui accorder ce passe-droit. Seul un soldat, ayant levé sa hache, frappa le vase en criant à haute voix: « Tu n’auras rien ici que ce que le sort t’attribuera vraiment. » Clovis s’inclina devant ce qui était le droit de l’armée et parvint, grâce à un heureux tirage au sort d’autres objets, à récupérer le vase et à le rendre à l’envoyé de Remi, lequel le garda soigneusement par la suite comme cadeau personnel. En remerciement pour ce premier témoignage d’amitié et de respect entre les deux hommes, Remi ordonna dans son testament que l’objet fût fondu pour en faire « un encensoir et un calice gravé de représentations ». Le vase devait donc être d’un grand poids et « d’une beauté merveilleuse ». En tout cas, contrairement à ce qu’ont raconté les manuels d’histoire de la IIIe République, le célèbre vase de Soissons, en réalité de Reims, n’a jamais été cassé. Tout au plus fut-il cabossé. À la célèbre question: «Qui a cassé le vase de Soissons? » la réponse est en fait : Personne !

« Ainsi as-tu fait, à Soissons, avec le vase. »

Les règles de l’armée de Clovis étaient strictement romaines. Si le butin devait être réparti de manière équitable pour les soldats, le chef de guerre avait droit de vie et de mort sur ses hommes. Le roi réunit ses fantassins, le 1er mars 487. Cette pratique était romaine là encore, puisque le champ de Mars servait à la revue d’inspection avant l’entrée en campagne. Clovis, probablement à Soissons, profita de la négligence du «frappeur de vase » pour lui régler son compte. Comme sa lance, son épée et sa hache étaient mal tenues, il lui arracha cette dernière de la ceinture et la jeta à terre. L’autre se penchant alors pour la ramasser, Clovis en profita pour lui enfoncer sa propre hache dans la tête : « Ainsi as-tu fait, à Soissons, avec le vase. » Le roi ordonna aux autres de s’éloigner, laissant le cadavre exposé au public, probablement sans sépulture, châtiment exemplaire par son excès. Le chef victorieux pouvait tout se permettre puisqu’il avait respecté de manière formaliste la discipline militaire, précisément parce qu’il l’avait respectée. Clovis n’avait rien d’un roi omnipotent et restait lié par règles, même lorsqu’il exerçait sa vengeance. Il faut noter cependant que l’épisode révèle un caractère vindicatif et obstiné, soucieux d’être obéi."

Michel Rouche, Clovis,
Paris, Fayard, 1996. p. 205-208.


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