Le texte biblique a été conçu en deux ou trois
générations, autour de la fin du VII° siècle av. J.C., dans le petit
royaume israélite de Juda, autour de la cour de Jérusalem, avec des
intentions théologiques et politiques, dans un climat de peurs et
d’espoirs face au puissant voisin égyptien. Sur le plan religieux,
ces écrits tendent à fixer l’orthodoxie dans le monothéisme judaïque,
en centralisant le culte d’un Dieu unique dans un lieu unique, le
Temple de Jérusalem, sous l’autorité d’un descendant de la
dynastie de David, premier souverain de la monarchie unifiée de
l’histoire d’Israël. Sur le plan politique, la constitution d’une
histoire nationale, l’origine glorieuse d’Abraham (« Ur en
Chaldée »), la lutte victorieuse contre l’esclavage en Égypte
et la conquête par Josué de Canaan (Syrie-Palestine) justifient
pleinement les prétentions du roi Josias, dans cette période
dramatique de la fin du VII° siècle : l’indépendance par
rapport au pharaon Neko II, mais aussi la souveraineté sur l’ancien
royaume rival d’Israël, au Nord.
Archéologues, les auteurs confrontent dans l’ouvrage la Bible aux
données issues des fouilles et des documents égyptiens et mésopotamiens.
Il en ressort que bien des épisodes de la Bible – parmi les plus
connus – comme l’errance des Patriarches (Abraham, Isaac, Jacob),
l’esclavage des Hébreux en Égypte, l’Exode sous la conduite de Moïse,
l’errance de 40 ans dans le désert du Sinaï, la conquête
victorieuse de Canaan par Josué, la monarchie unifiée sous l’autorité
du grand David, la splendeur de Jérusalem dotée de son magnifique
Temple par Salomon ne correspondent à aucune donnée archéologique ou
historique et n’ont tout bonnement pas eu lieu ! Reprenons ces
points successivement…
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En quête des patriarches… Rappelant que la majorité des
pionniers de l’archéologie biblique étaient des prêtres ou des théologiens,
les auteurs montrent que tous les efforts pour retrouver les traces de
la grande migration vers l’ouest d’Abraham, d’Ur à Harân, en Mésopotamie,
puis vers Canaan (sa tombe se trouvant, selon la Genèse, à Hébron,
dans les actuels territoires palestiniens) se sont révélés vains. « L’archéologie
prouve de façon indubitable qu’aucun mouvement subit et massif de
population ne s’est produit à cette époque », mouvement
que les tenants d’une migration historique de tribus conduite par
Abraham et sa famille situent d’ailleurs à des dates contradictoires,
selon les découvertes (entre la moitié et la fin du III° millénaire,
entre le début et la moitié du II° millénaire, au début de l’âge
du Fer (1150-900 av. J.C.).
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Carte
tirée de l'Atlas Hachette, Histoire de l'humanité, 1992 |
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D’entrée de jeu, les auteurs affirment que le texte de la Genèse
a été compilé, à partir de sources plus anciennes, au VII° siècle
av. JC, sans qu’il soit possible d’en extraire un compte rendu
historique exact. Par exemple, l’histoire des patriarches est remplie
de chameaux transportant des marchandises, alors que l’archéologie révèle
que le dromadaire n’est couramment utilisé comme bête de somme qu’à
partir de l’an 1000 av. J.C., bien après l’existence supposée des
patriarches. Avec Abraham, Isaac, Jacob – le père des 12 tribus d’Israël,
la Genèse met en scène une ascendance commune à tout le peuple
israélite, en insistant sur Juda. Sur son lit de mort, Jacob confie
ainsi le droit d’aînesse à son fils Juda, qui donnera son nom à
l’un des deux royaumes israélites du Levant, celui du Sud, où se
trouve le tombeau, près d’Hébron, des trois patriarches.
L’Exode a-t-il eu lieu ? Moïse se dressant face au Pharaon,
déchaînant contre lui les 10 plaies d’Égypte, la fuite à travers
la Mer Rouge, puis les Dix Commandements révélés au premier des Hébreux
sur « le mont de Dieu », ces épisodes bibliques sont
parmi les plus évocateurs et les plus significatifs de la Bible.
Sont-ils pour autant historiques ? Au risque de décevoir leurs
lecteurs, les auteurs affirment : « Nous n’avons pas la
moindre trace, pas un seul mot, mentionnant la présence d’Israélites
en Égypte : pas une seule inscription monumentale sur les murs des
temples, pas une seule inscription funéraire, pas un seul papyrus.
L’absence d’Israël est totale – que ce soit comme ennemi
potentiel de l’Égypte, comme ami, ou comme peuple asservi. » A
l’époque supposée de l’Exode, au XIII° siècle av. J.C., l’Égypte
de Ramsès II est une puissance considérable, qui contrôle
parfaitement les cités-États de Canaan. Des forteresses égyptiennes
balisent la frontière, d’autres sont bâties en Canaan. Pour
Finkelstein et Silberman, il est inimaginable qu’une foule
d’esclaves hébreux aient pu fuir vers le désert et la Mer Rouge sans
rencontrer les troupes égyptiennes, sans qu’il en reste trace dans
les archives étatiques. Or, la plus ancienne mention des Hébreux est
une stèle commémorant, à la fin du XIII° siècle av. J.C., la
victoire du pharaon Merneptah sur le peuple d’Israël, mais en
Canaan-même. Même absence de vestiges archéologiques dans le Sinaï,
où les compagnons de Moïse ont, selon la Bible, erré pendant 40 ans.
Toutefois, pour n’être pas exacte d’un point de vue historique, la
Bible, dans sa description de l’Exode, n’est pas pour autant une
fiction littéraire : les toponymes (les noms de lieu) en Égypte,
dans le Sinaï ou à Canaan, désignent bien des territoires
historiques, mais plus proches là encore du VII° siècle av. J.C. que
de l’époque présumée de l’Exode. (Ce dernier fait peut-être
allusion à l’expulsion d’Égypte, bien réelle celle-là, des
Hyksos, qui étaient eux-mêmes des Cananéens). Dès lors, ce récit
d’un affrontement victorieux entre Pharaon et Moïse a pu devenir une
saga nationale, une toile de fond mythique et encourageante alors
qu’au VII° siècle av. J.C., la renaissance de l’Égypte menace les
ambitions du roi de Juda, Josias.
L’origine des Israélites…Selon le texte biblique, Moïse confie
la conquête de la Terre promise, Canaan, à son lieutenant Josué. Aidé
par Dieu, Josué multiplie les victoires, comme à Jéricho, les
murailles s’effondrant sous les trompettes de guerre. Là encore, la réalité
archéologique contredit le Livre de Josué. Par exemple, les cités de
Canaan n’étaient pas fortifiées ; aucune muraille ne pouvait
donc s’écrouler… Surtout, l’idée même d’une invasion de
Canaan par les Hébreux venus d’Égypte est contestée par nos
auteurs. Pour eux, les Hébreux sont en fait des peuplades indigènes de
Canaan, qui ont développé progressivement une identité ethnique israélite.
Loin d’être de lointains immigrés, loin d’avoir violemment conquis
le pays, les Hébreux sont donc surtout des pasteurs, des éleveurs de
Canaan, dont le mode de vie s’est modifié au point de les distinguer
des autres peuples autochtones, par exemple par leurs habitudes
alimentaires (l’interdiction de consommer du porc). Aux alentours de
1200 av. J.C., lors d’une crise très grave de la société cananéenne
du littoral, ils ont colonisé les hautes terres de Judée et les
montagnes de Samarie, habitant des villages non fortifiés très
rustiques.
Un royaume hébreu sous l’autorité de David et Salomon… A l’époque
présumée du premier grand souverain hébreu, David, vers l’an 1000
av. J.C., cette société israélite est encore peu développée, très
peu peuplée, et n’a certainement pas la dimension d’une cité-État
alphabétisée, capable d’encadrer de grands travaux sous le contrôle
d’une bureaucratie de fonctionnaires. « Les fouilles
entreprises à Jérusalem n’ont apporté aucune preuve de la grandeur
de la cité à l’époque de David et de Salomon », écrivent
nos auteurs, qui enfoncent le clou à propos du fameux Temple bâti par
Salomon : « Les fouilles entreprises à Jérusalem, autour
et sur la colline du Temple, au cours du XIX° siècle et au débit du
XX° siècle, n’ont pas permis d’identifier ne serait-ce qu’une
trace du Temple de Salomon et de son Palais ». Dans une Jérusalem
qui ressemble plus à un village de montagne qu’à une capitale
prestigieuse, David et Salomon ont certes existé, mais leur mémoire a
surtout servi à construire le mythe d’un seul peuple puissant, d'une
monarchie israélite unifiée sous la légitime dynastie davidienne. La
réalité, telle qu’elle est rapportée par nos auteurs, est toute
différente…
Deux royaumes israélites pendant toute l’histoire juive… En
se fondant là encore sur leurs investigations archéologiques,
Finkelstein et Silberman introduisent – contre le mythe d’une
monarchie unifiée originelle - l’idée neuve de l’existence
originelle et durable de deux entités israélites, deux sociétés
distinctes, au Sud et au Nord des hautes terres, dont les rivalités et
le destin historique ont commandé l’écriture de la Bible. Au Sud, le
royaume de Juda, plus pauvre, moins peuplé, gouverné depuis Jérusalem
par les héritiers de David. D’ailleurs, le Dieu d’Israël, dans les
territoires du Sud, est appelé YHWH (que l’on prononce Yahvé). Au
Nord, c’est le royaume d’Israël, beaucoup plus prospère, plus
peuplé, plus influent, dont la capitale, Samarie, est un grand centre
administratif, doté d’un palais et de son propre temple pour honorer El,
ou Elohim.
Un nouveau monothéisme…Tout
le propos du Livre des Rois est de montrer que seul le royaume du
Sud, dans sa légitimité davidienne, a vocation à gouverner
l’ensemble des territoires israélites, à partir d’un culte
centralisé dans le Temple de Jérusalem. Bien que plus influent, avec
de puissantes cités comme Samarie ou Megiddo, le royaume nordiste d’Israël,
selon le texte biblique, était voué à la destruction du fait de
l’incroyance de ses souverains et de la composition multiethnique de
sa population : en 720 av. J.C., les Assyriens détruisent le
royaume de Samarie et annexent la contrée. « Le royaume
de Juda se retrouva soudain seul, cerné par un monde non israélite. Le
royaume ressentit alors le besoin impérieux de posséder un document écrit
qui le définît et le motivât. Ce texte, c’est le noyau historique
de la Bible, compilé à Jérusalem au cours du VII° siècle av. J.C. »
La destruction du royaume d’Israël est l’occasion de proférer
l’exigence, pour tous les Israélites, d’un monothéisme radical –
celui du Deutéronome, le cinquième Livre de la Torah (le
Pentateuque), qui prescrit l’observance des fêtes nationales (la Pâque,
les Tabernacles), l’interdiction des « mariages mixtes »,
la protection des faibles et des indigents. Jusqu’à cette époque,
bien des cultes, celui de divinités domestiques, du soleil, de la lune
et des étoiles, de Baal ou d’Asherah (« épouse » de
Dieu…) cohabitaient avec celui de YHWH, au sein même du Temple, mais
aussi dans des sanctuaires de campagne ! En même temps, l’héritier
de David, le roi Josias, est présenté comme un véritable messie,
chargé de restaurer la monarchie unifiée et l’autorité davidienne
sur tous les Israélites, alors même que les Assyriens se retiraient
des provinces du Nord.
Des rois aux prêtres… En
609 av. J.C., le roi Josias est tué par les troupes du pharaon Neko II.
Mais ce sont les Babyloniens de Nabuchodonosor qui ravagent le royaume
de Juda, incendient Jérusalem et détruisent le Temple en 586 av. J.C.
(les fouilles archéologiques ont restitué pointes de flèches et
traces d’incendie). Une partie des Israélites, faible selon nos
auteurs, l’élite surtout, est déportée à Babylone. Cet exil,
relativement court dans le temps puisque les Perses
de Cyrus détruisent l’empire babylonien en 534, est essentiel dans la
mise en forme finale du Pentateuque. L’éloignement d’Israël réactive
le souvenir de l’Exode. Le destin prestigieux d’Abraham choisi par
Dieu pour offrir une Terre prospère à sa nation est un message
d’espoir, tout comme le souci de bien marquer la séparation entre le
peuple juif et ses voisins. Enfin, la reconstruction du Temple (qui
inaugure la période dite du Second Temple) permet la conservation de
l’identité israélite autour des prêtres, dont l’importance
s’est réaffirmée pendant l’exil. En effet, les territoires israélites
ne sont plus gouvernés par les descendants de David, la monarchie est
hors-jeu : après les Perses viennent les Grecs d’Alexandre, puis
ses généraux, puis les Romains (avec un certain Ponce Pilate), les
Byzantins, les Arabes… Mais l’épopée biblique est devenue
suffisamment cohérente pour permettre la survie identitaire du peuple
juif, et son prolongement dans le christianisme.
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