Pour que les élèves français réussissent mieux, que la France retrouve son rang dans les classements internationaux, le gouvernement a trouvé la parade : élever le niveau de recrutement de tous les enseignants (Bac + 5), les payer mieux à leurs débuts, envoyer les lauréats des concours de recrutement dans les classes, à temps plein, en comptant sur la formation assurée sur le terrain par des « enseignants aguerris ». Exit les Iufm, discrédités, absorbés par des universités désormais chargées de la préprofessionnalisation des enseignants. A l’heure où le monde découvre la réalité de certains collèges parisiens au travers de la Palme d’or décernée à Entre les murs, cette parade doit être dénoncée comme une illusion trompeuse, un mensonge sur la réalité actuelle et l’avenir de la formation des enseignants et comme une rupture majeure dans la politique éducative de la République. Illusion trompeuse que ce pari sur les connaissances académiques, le retour strict aux « fondamentaux », aux savoirs, et le rejet conséquent de toute véritable formation professionnelle. Si l’on peut imaginer qu’un diplômé en chimie enseigne cette discipline dans le second degré, on ne le voit pas spontanément capable d’apprendre à lire et à écrire à des enfants de CP. Tous les élèves, et leurs parents aussi, le savent : ce n’est pas parce qu’un enseignant est agrégé (le fameux Bac + 5 souhaité) qu’il est meilleur que les autres. L’obtention d’un diplôme à 25 ans ne détermine en rien le professionnalisme, le savoir-faire, la réussite d’une vie d’enseignant. Un cours d’amphithéâtre est sans doute une condition nécessaire pour enseigner, mais loin, très loin d’être suffisante. Le général de Gaulle n’est pas le même personnage pour des enfants de 9 ans et des élèves de 17. On n’apprend pas l’héliocentrisme à des élèves de CE2 comme à des élèves de seconde. C’est tout l’objet de la didactique des disciplines enseignée, avec mille prudences théoriques et expérimentales, en Iufm. A tout cela, le gouvernement répond : « masterisation » ! Aux universités de prendre le relais des Iufm, dont on a décrété l’échec (alors même que l’employeur, le Ministère de l’Education nationale, titularise 95% des sortants dans l’académie de Créteil.) Que les filières universitaires soient fort éloignées de l’enseignement professionnel, de la polyvalence et de la culture de l’école élémentaire, qu’une difficulté majeure des professeurs des écoles aujourd’hui soit justement l’insuffisance de leur formation dans une douzaine de disciplines, que leur didactique soit absente des cursus universitaires est tout simplement occulté. Les compagnons de terrain y pourvoiront… Mensonge sur la réalité actuelle… Aujourd’hui, la formation des enseignants serait donc aux mains de pédagogues déconnectés des classes, de professeurs rétifs aux savoirs, de gourous fascinés par l’animation de groupe aux dépens des vrais apprentissages, du par-cœur, des exercices qui ont fait leurs preuves. Que ces thèses, disséminées des pamphlets « anti-pédagos » jusque dans les cabinets ministériels, constituent désormais l’armature de la doctrine officielle ne peut dissimuler complètement la réalité : tuteurs, conseillers pédagogiques, maîtres-formateurs, les enseignants de terrain font partie intégrante de la formation assurée en Iufm. Le compagnonnage, panacée de l’excellence pédagogique, existe depuis belle lurette, et depuis belle lurette, il est critiqué par tout le monde, à commencer par les enseignants-stagiaires ! Ce qui est recherché par le Ministère - ce solide savoir-faire de l’artisan, ces gestes professionnels qui rassurent, ici sur la saveur du bon pain, là sur les connaissances des élèves -, c’est la carrure apaisante du compagnon. Or, et c’est là que le mensonge risque de se payer cher dans l’avenir, on ne voit pas pourquoi une formation sur le tas serait suffisante pour former à la complexité du métier d’enseignant, et pas pour les médecins, les orthophonistes, les sages-femmes, les ingénieurs, les électriciens, les journalistes, les énarques, les magistrats, les officiers, qui tous alternent une formation théorique et une formation pratique, en école professionnelle, pendant au minimum deux ans. La formation professionnelle des enseignants était déjà réduite à une seule année en Iufm : le gouvernement veut aujourd’hui la supprimer complètement. A la différence de tous les métiers cités, l’enseignant saurait, lui, exercer, à temps plein, dès sa sortie de l’Université, par la seule force de son savoir et la présence salutaire de son « compagnon » (au fait, formé par qui, lui ?). Une année d’accompagnement, dans un établissement lambda, avec les recettes locales et les moyens du bord, viatique d’avance dérisoire quand les parents, les élèves sont en droit d’attendre d’un enseignant de la République qu’il soit en mesure d’enseigner partout, à St-Cloud ou à Vaulx-en-Velin, dans les beaux quartiers où les élèves apprennent tout seuls et Entre les murs, qu’il soit capable de faire passer les programmes à des élèves de 6 ou 17 ans, qu’il puisse les évaluer, les aider – et pas seulement dans les deux heures hebdomadaires prévues pour le 1er degré ! -, qu’il sache travailler en équipe, avec les parents, avec l’environnement pour que tiennent debout les murs déjà lézardés de l’école républicaine. Une rupture majeure dans la politique éducative du pays, c’est justement ce qui se lit en filigrane dans la suppression prochaine des Iufm. Depuis 2005, le ministère de l’Education nationale revoit les programmes du primaire et du collège pour mettre en œuvre le « socle commun de connaissances et de compétences », définissant le contenu de la scolarité obligatoire. Très contestés par ailleurs, les nouveaux programmes de l’école primaire y font référence. Ambitieux, ce socle commun doit permettre à chaque jeune Français « d'accomplir avec succès sa scolarité, poursuivre sa formation, construire son avenir personnel et professionnel, ainsi que contribuer à réussir sa vie en société. » Au-delà des « fondamentaux », du « lire-écrire-compter », le socle évoque l’autonomie des élèves, leur esprit d’initiative, leur capacité à s’autoévaluer, à connaître leurs propres processus d’apprentissage… Billevesées pédagogistes ? Non, Code de l’Education. Dès lors, comment ne pas voir que cette louable ambition - si le gouvernement y croit encore – transforme les manières habituelles de faire la classe, et donc de s’y préparer ? A qui fera-t-on croire que cet effort de construction d’un édifice scolaire où l’on s’efforce, de la maternelle à la troisième, de donner un sens aux apprentissages, cette entreprise de réconciliation de l’école avec la société - et notamment ses couches populaires - puissent être entrepris sans la construction d’une identité enseignante renouvelée, au terme d’un travail de formation à long terme, et qui dépasse de loin tout compagnonnage improvisé ? En choisissant, ici comme ailleurs, la ligne des économies budgétaires, économisant les salaires versés actuellement à plusieurs dizaines de milliers de professeurs stagiaires en 2ème année d’Iufm, le gouvernement choisit de sacrifier la formation professionnelle des enseignants, formation initiale mais aussi formation continue des professeurs des écoles titulaires (puisque les premiers prennent la classe des seconds le temps d’un stage pendant quelques semaines). Revanche idéologique, quarante ans après mai 68, contre des instituts de formation ouverts à la recherche, à l’innovation, soucieux d’efficacité et de démocratisation de l’accès aux savoirs ? Insuffisante dans sa durée, perfectible dans ses modalités d’alternance, amendable par une meilleure articulation avec les universités, la formation en Iufm pose néanmoins les bases d’une culture professionnelle, commune au premier comme au second degré, pour assurer les mutations de la condition enseignante et faire vivre l’exigence de réussite de tous les élèves, sur tout le territoire. Vouloir casser cet outil, renoncer à la professionnalisation des professeurs quand tout l’exige, c’est mettre à mal l’égalité des chances, nourrir les souffrances enseignantes et préparer l’effondrement de l’école publique. Comme le disait un vieux pédagogue, Montaigne : « Le plus aspre et difficile mestier du monde, à mon gré, c'est faire dignement le Roy». Marc Girot, pour les enseignants d’histoire et de géographie de l’IUFM de Créteil – Paris 12 |