Gambetta et l'avènement des couches nouvelles


Dans ce discours prononcé en 1874, à Auxerre, le républicain Gambetta souligne les transformations économiques et sociales issues de la modernisation de la France sous le Second Empire. Il désigne "les couches nouvelles" - ces travailleurs propriétaires - comme le soutien naturel du régime républicain.

"C'est pendant les vingt ans de ce régime détesté et corrupteur, grâce au développement des moyens de transport, à la liberté des échanges, à la facilité, à la fréquence des relations, grâce aux progrès malheureusement trop lents encore de l'instruction publique, à la diffusion des lumières, grâce enfin au temps qui est la puissance maîtresse en histoire, que s'est formée, en quelque sorte, une nouvelle France. Il n'est pas douteux que le besoin politique qu'avait l'Empire d'éblouir, de créer du travail pour les masses ouvrières, au prix de prodigalités sans nombre et de ruines dont nous voyons aujourd'hui les conséquences, a créé en même temps de nouveaux travailleurs. Ce gouvernement, voulant donner une satisfaction apparente à ce qu'on appelle la démocratie, voulant lui faire des concessions au point de vue des ouvriers des villes et des campagnes, a été engagé, lancé dans un système économique qui, au point de vue de la construction des canaux, des chemins de fer, des travaux d'utilité publique, a donné une certaine impulsion, un certain mouvement à l'esprit d'entreprise qui existe dans toute démocratie, qui en est l'âme et le nerf, et qui fait la force des grands peuples libres. […]
" Ce monde de petits propriétaires, de petits industriels, de petits boutiquiers a été suscité par le mouvement économique que je viens d'indiquer ; car il ne faut pas oublier que le régime impérial a hérité ou plutôt a confisqué cette accumulation de forces, a bénéficié de ce réservoir d'éléments, de ces ressources morales et matérielles que rassemble le cours normal des événements. Tous ces éléments sont entrés successivement en œuvre, et c'est ainsi que se sont créées, formées ces nouvelles couches sociales dont j'ai salué un jour l'avène-ment. Messieurs, j'ai dit les nouvelles couches, non pas les classes : c'est un mauvais mot que je n'emploie jamais. Oui, une nouvelle couche sociale s'est formée. On la trouve partout ; elle se manifeste à tous les regards clairvoyants ; elle se rencontre dans tous les milieux, à tous les étages de la Société. C'est elle qui, en arrivant à la fortune, à la notoriété, à la capacité, à la compétence, augmente la richesse, les ressources, l'intelligence et le nerf de la patrie. Ce sont ces couches nouvelles qui forment la démocratie ; elles ont le droit de se choisir, de se donner le meilleur gouvernement, c'est-à-dire la forme de gouvernement la mieux appropriée à leur nature, à leurs tendances et à leurs intérêts. Dans la démocratie, c'est-à-dire dans un état politique où le travail doit tout dominer - car dans les Temps modernes le travail est le grand agent de richesse, de paix et de bonheur -, dans un état social où le plus grand nombre des travailleurs est déjà propriétaire, où, sur 10 millions d'électeurs, 8 millions sont astreints au paiement des cotes foncières, il était sûr que, dès que ces hommes seraient investis du droit de se donner un gouvernement, ils choisiraient la République, parce que démocratie et République sont associées comme la cause et l'effet. (" Très bien! Bravo ! bravo ! " Applaudissements prolongés.) "

Revenir au texte