Appel
à la croisade lancé par Urbain II
au concile de Clermont (1095)
Vous venez, dit-il, enfans (sic)
du Seigneur, de lui jurer de veiller fidèlement, et avec plus de
fermeté que vous ne l’avez fait jusqu’ici, au maintien de la paix
parmi vous, et à la conservation des droits de l’Église. Ce n’est
pas encore assez ; une œuvre utile est encore à faire ;
maintenant que vous voilà fortifiés par la correction du Seigneur,
vous devez consacrer tous les efforts de votre zèle à une autre
affaire, qui n’est pas moins la vôtre que celle de Dieu. Il est
urgent, en effet, que vous vous hâtiez de marcher au secours de vos
frères qui habitent en Orient, et ont grand besoin de l’aide que
vous leur avez, tant de fois déjà, promise hautement. Les Turcs et
les Arabes se sont précipités sur eux, ainsi que plusieurs
d’entre vous l’ont certainement entendu raconter, et ont envahi
les frontières de la Romanie jusqu’à cet endroit de la mer
Méditerranée, qu’on appelle le Bras de Saint-George (sic),
étendant de plus en plus leurs conquêtes sur les Terres des
Chrétiens, sept fois déjà ils ont vaincu ceux-ci dans des
batailles, en ont pris ou tué grand nombre, ont renversé de fond en
comble les églises, et ravagé tout le pays soumis à la domination
chrétienne. Que si vous souffrez qu’ils commettent quelque temps
encore et impunément de pareils excès, ils porteront leurs ravages
plus loin et écraserons une foule de fidèles serviteurs de Dieu.
C’est pourquoi, je vous avertis et vous conjure, non en mon nom,
mais au nom du Seigneur, vous les hérauts du Christ, d’engager par
de fréquentes proclamations les Francs de tout rang, gens de pieds et
chevaliers, pauvres et riches, à s’empresser de secourir les
adorateurs du Christ, pendant qu’il en est encore temps, et de
chasser loin des régions soumises à notre foi la race impie des
dévastateurs. Cela, je le dis à ceux de vous qui sont présens (sic)
ici, je vais le mander aux absents ; mais c’est le Christ qui
l’ordonne. Quant à ceux qui partiront pour cette guerre sainte, s’ils
perdent la vie, soit pendant la route sur terre, soit en traversant
les mers, soit en combattant les Idolâtres, tous leurs péchés leur
seront remis à l’heure même ; cette faveur si précieuse, je
la leur accorde en vertu de l’autorité dont je suis investi par
Dieu même. Quelle honte ne serait-ce pas pour nous si cette race
infidèle si justement méprisée, dégénérée de la dignité de l’homme,
et vile esclave du démon, l’emportait sur le peuple élu du Dieu
tout-puissant, ce peuple qui a reçu la lumière de la vraie foi, et
sur qui le nom du Christ répand une si grande splendeur !
Combien de cruels reproches ne nous ferait pas le Seigneur, si vous ne
secouriez pas ceux qui, comme nous, ont la gloire de professer la
religion du Christ ? Qu’ils marchent, dit encore le pape en
finissant, contre les infidèles, et terminent par la victoire une
lutte qui depuis longtemps déjà devrait être commencée, ces hommes
qui jusqu’à présent ont eu la criminelle habitude de se livrer à
des guerres intérieures contre les fidèles ; qu’ils
deviennent de véritables chevaliers, ceux qui si longtemps n’ont
été que des pillards ; qu’ils combattent maintenant, comme il
est juste, contre les barbares, ceux qui autrefois tournaient leurs
armes contre des frères d’un même sang qu’eux ; qu’ils
recherchent des récompenses éternelles, ces gens qui pendant tant d’années
ont vendu leurs services comme des mercenaires pour une misérable
paie ; qu’ils travaillent à acquérir une double gloire, ceux
qui naguère bravaient tant de fatigue, au détriment de leur corps et
de leur âme. Qu’ajouterai-je de plus ? D’un côté seront
des misérables privés de vrais biens, de l’autre des hommes
comblés de vraies richesses ; d’une part combattront les
ennemis du Seigneur, de l’autre ses amis. Que rien donc ne retarde
le départ de ceux qui marcheront à cette expédition ; qu’ils
afferment leurs terres, rassemblent tout l’argent nécessaire à
leurs dépenses, et qu’aussitôt que l’hiver aura cessé, pour
faire place au printemps, ils se mettent en route sous la conduite du
Seigneur. Ainsi parla le pape.
Foulcher de Chartres, Histoire des Croisades,
édité par F. GUIZOT, Collection des mémoires relatifs à
l’histoire de France, Paris, J-L-J Brière, 1825, p. 7-9 |
Un seul texte, trois versions
Version A
C’est pourquoi, je vous
avertis et vous conjure, non en mon nom, mais au nom du Seigneur, vous
les hérauts du Christ, d’engager par de fréquentes proclamations les
Francs de tout rang, gens de pieds et chevaliers, pauvres et riches, à
s’empresser de secourir les adorateurs du Christ, pendant qu’il en
est encore temps, et de chasser loin des régions soumises à notre foi
la race impie des dévastateurs.
Foulcher de Chartres, in Histoire
des Croisades, édité par F. GUIZOT, Collection des mémoires
relatifs à l’histoire de France, Paris, J-L-J Brière, 1825, p. 8
Version B
Aussi je vous exhorte et je
vous supplie – et ce n’est pas moi qui vous y exhorte, c’est le
Seigneur lui-même – vous, les hérauts du Christ, à persuader à
tous, à quelque classe de la société qu’ils appartiennent,
chevaliers ou piétons, riches ou pauvres, par vos fréquentes
prédications, de se rendre à temps au secours des chrétiens et de
repousser ce peuple néfaste loin de nos territoires.
Foucher de Chartres, Historia
Hierosolymitana, dans Recueil des Historiens des croisades,
historiens occidentaux, t.III, Paris, Imprimerie Nationale, 1866,
pp.323-324. Cité dans Michel Balard, Alain Demurger, Pierre Guichard (ed),
Pays d’Islam et monde latin, Xe-XIIIe siècle, Paris, Hachette,
2000, p.66-67
Version C
C’est pourquoi je vous
prie et exhorte – et non pas moi, mais le Seigneur vous prie et
exhorte comme hérauts du Christ -, les pauvres comme les riches de vous
hâter de chasser cette vile engeance des régions habitées par nos
frères et d’apporter une aide opportune aux adorateurs du Christ.
Foucher de Chartres, Histoire
du pèlerinage des Francs à Jérusalem, cité dans, L’Histoire, Les
croisades, Paris, Point Seuil, 1988, p.240
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