Le commentaire du document : l'appel à la croisade

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Ce que nous apprend le document : de la nécessité de le confronter à d'autres sources 
                               

"L’appel à la croisade lancé par Urbain II au concile de Clermont en 1095 et retranscrit par Foucher (ou Foulcher) de Chartres dans son Historia Hierosolymitana est cité sous forme d’extraits par la plupart des auteurs de manuels au chapitre concernant les croisades. Ce texte s’inscrit parfaitement dans l’une des questions figurant au programme du concours : " En Méditerranée, une civilisation fondée autour d'une nouvelle religion, l'Islam ; entre chrétiens et musulmans, des conflits mais aussi des échanges ". Il est à la fois si célèbre et si facile d’accès qu’on peut supposer sans risque d’erreur qu’il sera proposé à des candidats par les jurys académiques. Il constitue de ce fait un excellent exemple pour comprendre ce qu’est un document historique et les problèmes d’interprétation qu’il peut poser.

La première question à se poser face à un tel document est celle de sa nature. A priori, la réponse est simple et donnée par le titre du document : il s’agit de l’appel à la croisade lancé par Urbain II au concile de Clermont en 1095. En réalité, les choses sont plus complexes qu’il n’y paraît. Le titre d’un document ne suffit pas en effet à en définir la nature. Le plus souvent, comme c’est le cas ici, il ne fait pas partie du document mais a été ajouté par la personne qui propose le document à l’étude. Il risque donc d’induire en erreur et en dit parfois plus sur la lecture qui est faite du document que sur sa réelle nature. Pour être précis, il faudrait dire que le document est la transcription, ou plus certainement la réécriture par Foucher de Chartres de l’appel à la croisade lancé à Clermont par le pape Urbain II, telle que Foucher l’expose dans son Historia Hierosolymitana qui date approximativement de 1127 et que Guizot l’a éditée et traduite du latin en 1825. Ce document est complet et n’a subi aucune coupure, même s’il est extrait d’un récit plus vaste qui l’englobe.

Cela conduit à s’interroger sur l’auteur du document. Ici, il est très clair que l’auteur du document est Foucher de Chartres, et non pas Urbain II. C’est loin d’être un détail. Nous connaissons en effet quatre versions différentes de cet appel qui nous ont été transmises par quatre chroniqueurs du Moyen – Age. Il y a entre elles des différences significatives qui en altèrent considérablement le sens. Les choses se compliquent encore quand on a affaire à une traduction comme dans le cas présent. Il existe en effet plusieurs éditions et donc plusieurs versions de ce même texte. Mais s’agit-il vraiment du même texte ? Nous disposons en effet de plusieurs manuscrits de l’ Historia Hierosolymitana qui ne sont pas tous identiques. Il faut donc savoir quel manuscrit a été utilisé par l’éditeur (c’est le cas ici ou une notice le précise clairement). Pour être être utilisable, un document ou une citation doit indiquer avec précision sa source. Les versions A et B qui figurent dans l’encadré " Un seul texte, trois versions ", correspondent aux normes de citation scientifiques. Le lecteur peut sans problème se reporter au document source pour vérifier l’exactitude de la citation ou éventuellement la compléter. Je cite ici directement la version A que j’ai pu consulter. Pour la version B, on a affaire à une cascade de citations puisque je cite Michel Balard qui lui même cite Foucher de Chartres. J’ai eu en main l’ouvrage de Balard, mais pas la version de Foucher qu’il a utilisée: je fais confiance à ma source dont j’indique les références et à laquelle j’invite de bonne foi le lecteur à se référer. Ces deux versions sont cohérentes entre elles. Il s’agit manifestement du même texte dans deux traductions différentes. La version C est par contre totalement inutilisable. Elle est tronquée et dénature complètement le sens du texte original (le pape ne demande pas à ses auditeur de partir pour la croisade, mais de la prêcher), et n’indique pas sa provenance. Je l’ai tirée personnellement d’un ouvrage dont je précise les références, mais ce même ouvrage est totalement muet sur la version du texte qu’il utilise.

Si l’on en revient à l’auteur du document, on peut préciser que Foucher est né à Chartres en 1059, qu’il assista au concile de Clermont puis qu’il partit pour la croisade et devint pendant la route chapelain de Baudouin Ier, d’abord comte d’Édesse puis roi de Jérusalem. Il vécut alors en Terre Sainte jusqu’à sa mort qui se situe autour de 1127, date à laquelle s’arrête son récit.

Ces points étant acquis, il faut se demander à qui s’adresse le document et quel est l’objectif qu’il poursuit. Foucher l’explique lui-même dans la préface de son ouvrage. " […], excité par quelques-uns de mes compagnons, je me décidai un jour à rédiger ou mettre soigneusement en ordre l’histoire des illustres actions des Français en l’honneur du Seigneur, lorsque par ordre de Dieu ils firent en armes le pèlerinage de Jérusalem : je rapporte en style grossier, il est vrai, mais véridique, comme je peux, et de la manière dont je l’ai vu de mes propres yeux, tout ce que j’ai jugé digne de mémoire. " (op.cit, p. IX-X) Foucher s’adresse manifestement aux chevaliers occidentaux pour les convaincre de se croiser et de s’installer en Terre Sainte.

On peut alors s’interroger sur la date à laquelle se situent les faits dont traite le texte et sur les circonstances de sa rédaction. Il est nécessaire ici de donner une réponse en deux points, le premier relatif au concile de Clermont, le second à l’ Historia Hierosolymitana. Le concile de Clermont s’est tenu en novembre 1095 à l’initiative du pape Urbain II. Regroupant 310 évêques et abbés, il avait pour principal objectif de régler les affaires ecclésiastiques du royaume, à un moment où le roi de France Philipe Ier était excommunié pour bigamie après avoir enlevé l’épouse du comte d’Anjou. Cette excommunication fut confirmée par le concile, ce dont Foucher ne souffle mot. Pour Foucher, il s’agissait avant tout de rétablir la paix dans un royaume miné par les guerres privées : " […] les grands de la terre, toujours en armes, et dont tantôt les uns, tantôt les autres se faisaient de cruelles guerres, bannissaient la paix de partout, et pillaient tout à tour les biens de la terre. " (op. cit., p.1). Ce n’est qu’à la fin du concile que fut lancé l’appel à secourir les chrétiens d’Orient, dont la position était très difficile. Après leur victoire de Manzikert (1071), les Turcs Seldjoukides les avaient chassés d’Anatolie (Romanie) et s’étaient installés sur les rives du Bosphore (Bras Saint Georges). Le contexte de la rédaction de l’ouvrage de Foucher de Chartres est tout autre. Au début du XIIe siècle, les croisés établis en Palestine sont sous la menace constante des musulmans. Ils ont besoin du secours de leurs compatriotes pour espérer survivre. Foucher de Chartres écrit donc la geste des croisés en montrant que le soutien de Dieu leur est acquis. Qui voudra se joindre à eux pourra s’enrichir tout en sauvant son âme.

Que nous apprend finalement ce document ? Qu’à la fin du concile de Clermont fut lancé un appel à secourir les chrétiens d’Orient menacés par les Turcs. Le pape promit alors une indulgence plénière à ceux qui périraient pendant l’expédition. Il ne s’agissait pas pour les auditeurs du pape, qui étaient des ecclésiastiques, de partir en personne pour l’Orient , mais " d’engager par de fréquentes proclamations les Francs de tout rang, gens de pieds et chevaliers, pauvres et riches, à s’empresser de secourir les adorateurs du Christ ". On notera qu’Urbain II, selon Foucher, n’aurait pas abordé la question de la reconquête de Jérusalem et des lieux saints. Cette version du discours du pape est contredite par les autres chroniqueurs qui font de Jérusalem le but ultime de l’expédition. Peut-être comprendra-t-on mieux le silence de Foucher en sachant que celui-ci ne participa pas à la prise de la ville puisqu’il était resté à Édesse avec Baudouin.

Cet exemple montre clairement qu’une source unique ne peut servir à écrire l’histoire. Faire de l’histoire, c’est avant tout croiser et confronter des documents que l’ont a élus comme sources pour répondre à une problématique. La lecture de ce seul texte pourrait accréditer l’idée que le concile de Clermont eut pour principal objet de préparer la croisade pour sauver les chrétiens d’Orient. L’appel à la croisade ne fut pourtant qu’un élément de cette importante réunion. L’ouvrage de Foucher montre que l’essentiel était avant tout de rétablir la paix dans le royaume en détournant la violence qui trouverait à s’employer utilement ailleurs. En confrontant ce texte à d’autres documents, on en entrevoit les limites, la principale lacune étant ici l’absence de toute référence à la reconquête de Jérusalem. Retenons finalement qu’un document unique ne prouve rien. Ce texte ne prouve pas que le pape Urbain II a exhorté les responsable de l’Église des Gaules à partir au secours des chrétiens orientaux, il prouve simplement que Foucher de Chartres affirme qu’il l’a fait, ce qui est bien différent.

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