Contenus Outils Programmations Histoire de France Démarches Liens

 

 

 

A) L'Islam B) Un vaste Empire C) Une civilisation féconde

B) Un vaste Empire

 1) Une expansion rapide soutenue par le jihad

Cette carte présente l'expansion rapide de l'aire islamique après la mort de Mahomet, en 632. 
(Carte tirée du site d'Alain Houot)

C’est sous les successeurs (califes) de Mahomet que l’Islam prend une dimension universelle et s’arrache à ses origines arabiques. Bien que tous Mecquois, tous familiers du prophète, les 4 califes qui se succèdent jusqu’en 661 soumettent l’Egypte et la Syrie, arrachées à l’empire byzantin, et la Perse sassanide, dont la langue et la culture sont étrangères au monde arabe. Puis de graves dissensions sur la succession aboutissent à la première guerre civile de l’Islam et au schisme entre une minorité chiite (partisans d’Ali, cousin et gendre du Prophète) et la majorité « orthodoxe » sunnite. Les chiites attribuent la légitimité de la succession aux descendants de Mahomet, les imams, leur reconnaissant en outre le droit d’interpréter le Coran. Pour les sunnites, le message du Coran est clos à la mort du Prophète.  
   C’est la dynastie sunnite des Ommeyades – qui se succèdent de façon héréditaire – qui l’emporte et s’installe à Damas, en Syrie. Elle soumet – difficilement – le Maghreb berbère, l’Espagne (Al-Andalus), mais échoue devant les Francs chrétiens de Charles Martel (Poitiers, 732) et les Byzantins (Constantinople, 718). L’hostilité anti-arabe se développant, une nouvelle dynastie – les Abbassides appuyés par des Persans – usurpe le califat et fonde une nouvelle capitale à Bagdad, sur les rives du Tigre. L’empire s’étend alors de l’Atlantique jusqu’à l’Indus. Quelques centaines de milliers de combattants, animés de l’esprit du jihad, ont soumis un sixième de l’humanité. Les conquérants s’appuient sur une foi missionnaire, une langue commune, les « fonctionnaires » des empires perses et byzantins et leur tolérance des peuples soumis (juifs et chrétiens obtiennent le statut de dhimmis, qui leur permet de conserver leur religion et leurs coutumes moyennant un tribut).  

Jihad et Coran

L’appel au combat contre les polythéistes est notamment développé dans la neuvième sourate du Coran. « Après que les mois sacrés se seront écoulés, tuez les polythéistes partout où vous les trouverez ; capturez-les, assiégez-les, dressez-leur des embuscades. Mais s’ils se repentent, s’ils s’acquittent de la prière, s’ils font l’aumône, laissez-les libres » (IX,5).

« Combattez ceux qui ne croient pas en Dieu et au Jour dernier ; [ …] ceux qui parmi les gens du livre ne pratiquent pas la vraie religion. Combattez-les jusqu’à ce qu’ils paient directement le tribut après s’être humiliés. » (IX,29)

« Combattez les polythéistes totalement comme ils vous combattent totalement, et sachez que Dieu est avec ceux qui le craignent » (IX,36).

Mais c’est seulement à la fin du VIII° siècle que les juristes décident d’appeler jihad le combat sacré contre les « infidèles ». Le terme, qui dans le Coran signifie « effort », était à l’origine moins belliqueux, coloré de la patience et de la souffrance qui sied au croyant plus qu’au guerrier.

L’Histoire, décembre 2001.


   Toutefois, l’immensité de l’empire, la diversité ethnique et linguistique des populations – face à la minorité arabe des vainqueurs – provoquent le morcellement du territoire et l’apparition de califats indépendants (le califat ommeyade de Cordoue) ou de dynasties locales héréditaires (dans l’actuelle Tunisie notamment). Le pouvoir temporel des califes ne cesse de décliner, jusqu’à la destruction de Bagdad par les Mongols en 1258, entraînant dans sa chute la domination de la langue et de la culture arabes. « A la fin du XV° siècle, les deux tiers au moins des populations de l’islam vivaient sous des rois qui parlaient persan et ignoraient l’arabe » (Gabriel Martinez-Gros, L’Histoire, janvier 2003). Tout l’est de l’aire musulmane, à partir de l’Anatolie conquise par les Turcs ottomans, est indifférente au califat, à l’arabe et à la descendance du prophète. L’ouest de cette aire, devenue « le monde arabe », reste attachée aux origines arabes de l’islam et aux privilèges des descendants du Prophète (c’est le cas de la monarchie chérifienne du Maroc). 

 2) Un carrefour pour les échanges entre l'Orient et l'Occident

Pour la première fois, l’empire arabo-musulman associe, de façon durable, deux civilisations jusque là fort éloignées : le sud de la Méditerranée occidentale, héritière des traditions gréco-romaine et judéo-chrétienne et le monde « oriental » de la Mésopotamie et de la Perse, ouvert sur les civilisations indienne et chinoise. Les souverains musulmans mettent l’héritage de ces deux foyers de civilisation au service de la nouvelle religion, dans les domaines de l’architecture (la mosquée de Damas emprunte aux églises), de l’administration (les califes s’entourent de lettrés juifs, persans, chrétiens – le théologien Jean Damascène est le chef de l’administration fiscale à Damas), des sciences et de la philosophie. Inversement, l’Occident découvre, lors de contacts ininterrompus pendant tout le Moyen-Age, l’usage du papier, des technique d’irrigation souterraines (les qanâts), les décors géométriques (les « arabesques » utilisés par les artistes musulmans à qui l’Islam interdit toute représentation figurée). La langue française conserve la mémoire de tous les produits dont les Arabes nous ont révélé l’existence, aliments (dattes, artichauts, café, sucre…), mobilier (divan, matelas, sofa…), plantes médicinales (camphre, soude, saccharine…), jeux (échecs), artisanat (satin, taffetas, damas…)

Peuples de marchands et d’artisans, les Musulmans maîtrisent longtemps les routes commerciales, terrestres et maritimes, notamment celles qui conduisent vers l’Orient indien et chinois. De Chine, ils rapportent la boussole, la poudre à canon et le papier[1]… D’Inde, ils ramènent les « chiffres arabes », la numération décimale et de position et l’usage du zéro. Ils sont les intermédiaires obligés du commerce mondial de l’époque, négociant à Antioche ou à Alexandrie les soieries de Chine et les épices d’Inde et d’Indonésie, à Bougie ou Tunis les esclaves, l’or, l’ivoire et le bois de l’Afrique noire[2].  

 
3) Un Empire contesté par les monarchies occidentales

L’appel à la croisade, à Clermont, du pape Urbain II (1095)

« Comme la plupart d’entre vous le savent déjà, un peuple venu de Perse, les Turcs, s’est avancé jusqu’à la mer Méditerranée, au détriment des terres des chrétiens. (…) Beaucoup sont tombés sous leurs coups : beaucoup ont été réduits en esclavage. Ces Turcs détruisent les églises ; ils saccagent le royaume de Dieu. (…) Aussi, je vous exhorte et je vous supplie, vous les hérauts du Christ, de persuader à tous, à quelle classe de la société qu’ils appartiennent, chevaliers ou pétons, riches ou pauvres, par vos fréquentes prédications, de se rendre à temps au secours des chrétiens et de repousser ce peuple néfaste loin de nos territoires. (…) A tous ceux qui partiront et qui mourront en route, que ce soit sur terre ou sur mer, ou qui perdront la vie en combattant les païens, la rémission de leurs péchés sera accordée. »


Depuis le IX° siècle, la défense des chrétiens menacés par les infidèles est une œuvre salutaire qui mérite absolution des péchés. Les papes soutiennent ces combats contre les Sarrasins en Italie, puis en Espagne, lors de la Reconquista, enfin pour répondre aux appels au secours de l’empereur byzantin, qui affronte les Turcs Seldjoukides présents dans toute l’Asie mineure depuis leur victoire à Manzikert en 1071 (ils s’emparent de Jérusalem la même année). Par ailleurs, le « mouvement de paix » instauré par l’Eglise au XI° siècle permet de détourner vers la guerre contre les infidèles les plus turbulents des chevaliers. 8 croisades vont se succéder sur deux siècles (1096-1291), la première étant seule véritablement victorieuse pour l’Occident, la seule véritablement populaire aussi. D’un Occident en pleine expansion démographique, en plein essor économique, des masses de pèlerins démunis se jettent sur les routes, massacrent plusieurs communautés juives d’Allemagne, avant de se faire massacrer à leur tour par les Hongrois. Jérusalem est prise en 1099, musulmans et juifs sont massacrés. Les chevaliers créent des Etats latins d’Orient, introduisant féodalité et châteaux-forts dans les territoires conquis. Routes et lieux saints sont protégés par des moines-soldats : Hospitaliers, Templiers, chevaliers Teutoniques.

La Sicile au XII° siècle :
un exemple de cohabitation 
pacifique
entre religions


L’Eglise Saint Jean des Ermites à Palerme (XII°-XIII° siècles) Les influences byzantines et  arabes se retrouvent dans les coupoles et le clocher en forme de minaret.

Au XII° siècle, les souverains normands de Sicile assoient leur autorité sur une mosaïque de peuples : Italiens, Normands, Grecs, Arabes. Les mariages mixtes sont fréquents, les ministres sont de toutes les confessions. La tolérance de ces souverains, qui vivent à l’orientale, entourés d’un harem et d’eunuques, fait de la Sicile un foyer de civilisation.

Roger II accueille à sa Cour Al Idrisi. Son « Livre du roi Roger » donne à l’Europe son premier livre des routes de la terre, de l’Oural au cap Nord, de l’Islande à l’Inde, à la Chine, du Mali à l’Océan Indien.
Guillaume Ier
a comme son père des discussions philosophiques et littéraires avec des hommes de culture, grecs et musulmans (« discussion de sérail… ») Il passe de longs moments cloîtré dans son harem, navigue sur des bateaux richement décorés, s’entoure de musiciens arabes.
Guillaume II
parle aussi l’arabe, comme ses père et grand-père. L’un des premiers à se croiser pour la troisième croisade, mais meurt avant son départ. Après sa mort, une révolte des Musulmans éclate, réprimée dans le sang. Les survivants se réfugient dans les montagnes de l’intérieur.

La hiérarchie féodale s’associe avec l’Eglise catholique, qui entend convertir les « infidèles ». Les Musulmans émigrent vers l’Orient, l’Afrique du Nord, l’Espagne (cette émigration n’a jamais cessé sous les Normands. Sous leur règne, un musulman accusé du rapt d’un chrétien devait payer une amende ou être battu. Par contre, les chrétiens enlevaient en toute impunité femmes et enfants musulmans, sous prétexte de les convertir.Vers 1225, l’empereur germanique Frédéric II, devenu maître de la Sicile, fait déporter des rebelles  musulmans vers l’Italie du Sud. A nouveau en 1243 : c’est la fin de la présence musulmane en Sicile, la fin d’un siècle de relative tolérance.

Guillaume Ier vu par un voyageur arabe

« L’attitude du roi est vraiment extraordinaire. Il a une conduite parfaite envers les Musulmans ; il leur confie des emplois, il choisit parmi eux ses officiers et tous, ou presque tous, gardent secrète leur foi et restent attachés à la foi de l’Islam. Le roi a pleine confiance dans les musulmans et se repose sur eux dans ses affaires et de l’essentiel de ses préoccupations, à tel point que l’intendant de sa cuisine est un musulman.

(…) A Messine, il a un château, blanc comme la colombe, qui domine le rivage de la mer. Il a un choix nombreux de page et de femmes esclaves. Il n’y a point de roi des chrétiens qui soit plus splendide en sa royauté, plus fortuné, plus luxueux que lui. (…) Un autre trait que l’on rapporte de lui et qui est extraordinaire ; c’est qu’il lit et qu’il écrit l’arabe.

(…) On nous a ainsi raconté que cette île fut secouée d’un tremblement de terre, dont ce roi polythéiste (cf note 1) fut fort effrayé. Il parcourut alors son palais, où il n’entendit qu’invocations à Dieu et à son prophète, prononcées par ses femmes et par ses eunuques. Si ceux-ci manifestèrent quelque trouble à sa vue, il leur dit pour les rassurer : « Que chacun de vous invoque celui qu’il adore et dont il suit la foi ! »

                                                                                             Ibn Jobaïr, Voyages, XII° siècle.

Une cinquantaine d’années plus tard, les Latins sont déjà sur la défensive. Les croisades de chevaliers, conduites par les souverains, sous l’autorité de la papauté, vont se succéder pour ralentir le recul des chrétiens devant la pression musulmane, notamment celle de Saladin, qui s’empare de Jérusalem en 1187. Les croisades ne sont donc pas des « guerres saintes » destinées à convertir des non-chrétiens (comme cela a pu être le cas sous l’Empire carolingien), mais des opérations de secours des chrétiens d’Orient. Entre-temps, l’occupation de la troisième ville sainte de l’Islam, Jérusalem[3], déclenche de nouveaux appels au jihad. Les élites musulmanes orientales développent un sentiment nouveau de rejet envers le christianisme. En Occident également, le christianisme berbère et l’usage du latin disparaissent à partir de 1150, sous les coups de dirigeants musulmans rigoristes, les Almohades.

Acre, la dernière principauté « franque », comme l’on dit à l’époque, tombe en 1291. A la fin du XIII° siècle, la région Palestine-Syrie est retombée sous domination musulmane. Mais cette défaite militaire ne doit pas masquer qu’au même moment, l’Occident chrétien construit les bases de sa suprématie. Pendant les croisades, les villes marchandes italiennes sont les principales bénéficiaires de l’essor du commerce au XII° siècle, dans une Méditerranée d’où les Musulmans ont été chassés (les flottes de Pise et de Gênes chassent les Sarrasins de Corse et de Sardaigne). Ces villes italiennes, les plus avancées de l’Occident, construisent des navires pour acheminer les Croisés en Palestine[4], implantent des comptoirs pour leurs marchands dans les principales villes des côtes méditerranéennes, même musulmanes (les marchands pisans sont à Alexandrie et au Caire), monopolisent le grand commerce maritime.

La fin du XV° siècle marque le début de la prééminence mondiale de l’Europe chrétienne, dans l’effacement des Arabes aux deux extrémités de leur empire. En Espagne, la lente Reconquista, la croisade contre les Maures, s’achève par la prise de Grenade en 1492. En Orient, le Portugais Vasco de Gama atteint en 1498 les côtes indiennes, s’appuyant pour franchir l’Océan indien sur un fameux pilote arabe, Ibn Madjid. Lors de sa deuxième expédition, en 1502, la conquête est à l’ordre du jour, et elle passe par l’expulsion des commerçants arabes présents sur les côtes indiennes depuis longtemps. Très vite, les Portugais sont maîtres de l’Océan Indien. « Désormais, les trésors de l’Asie – épices, drogues, pierres précieuses, soieries – ne parviendront plus en Europe via le golfe Persique, la Mer Rouge et le Levant, mais sur des navires portugais passant par le Cap de Bonne-Espérance et arrivant par l’Atlantique. (…) Le commerce entre Venise et l’Egypte avait vécu. La richesse de l’Asie, les trésors fabuleux de l’Orient vont maintenant affluer directement en Occident. » (Daniel Boorstin,  Les Découvreurs, Robert Laffont).


[1] Découverte en Chine au début du II° siècle après J.C., la fabrication du papier reste longtemps secrète. Les Japonais l’utilisent au VII° siècle. Lors de leur expansion vers l’Orient, les Arabes font de nombreux prisonniers chinois lors de la bataille de Samarkand, en 751. Des « papetiers » leur révèlent l’invention, qui va se diffuser dans tout l’empire, jusqu’en Andalousie. Des moulins à papier se répandent dans toute l’Espagne musulmane au XII° siècle. Un siècle plus tard, le papier fait son apparition en Italie, au XIV° siècle, dans le royaume de France.

[2] C’est d’ailleurs par le biais du commerce que l’Islam s’introduit en Afrique noire, en Inde et en Indonésie.

(3] C’est du Rocher de l’Esplanade du Temple (la Mosquée lointaine, al-Masjid al-Aqsa) que Mahomet accomplit – de son vivant - son Ascension vers le Ciel, où Dieu lui ordonne de proclamer les 5 prières quotidiennes.

(4] En 1204, les Vénitiens détournent même la 4ème croisade sur Constantinople, théoriquement alliée aux Chrétiens, et provoquent la première chute de l’empire byzantin.