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1) Une civilisation urbaine
Étrangère au monde bédouin,
la ville n’en fut pas moins une composante essentielle de la
civilisation arabo-islamique, qui fut l’une des plus bâtisseuses. Les
villes arabes, autour de l’an Mil, sont les plus grandes du monde :
200 000 à 300 000 habitants pour Cordoue, 500 000 pour Bagdad, qui seule
peut rivaliser avec Constantinople. Base
arrière pour les nouvelles vagues de conquête, la ville est insérée
dans le réseau de circulation des soldats, des marchandises et des
ordres. Foyer religieux, où les médersas jouxtent les mosquées,
foyer économique, autour des souks et des quartiers d’artisans, la
ville constitue aussi un lieu de pouvoir, où se lève et se redistribue
l’impôt, représenté par le gouverneur et le muhtasib (l’équivalent
d’un préfet de police chargé de la police des marchés, du contrôle
des prix et de l’ordre public). Derrière ses murailles, « la ville musulmane s’édifie autour de deux pôles. D’une part, la grande mosquée qui réunit les fidèles pour la prière communautaire du vendredi. Et d’autre part, le palais du calife, du dynaste vassal de Bagdad ou du gouverneur de province. Parmi les édifices clés, on trouve quelquefois la bibliothèque, et toujours des bains par dizaines ou par centaines. La ville est aussi ponctuée d’espaces : les marchés, qui sont des centres diffus très largement étalés, et aux lisières, de la ville, des dépotoirs et les cimetières ». (André Miquel, in Les Cahiers de Science et Vie, n°71, octobre 2002, « Le monde des Mille et Une Nuits : le génie arabe. Enquête sur les secrets d’un âge d’or (VIIIè-XIIIè siècle).
Les grands commerçants (et parmi eux beaucoup de
Juifs), les lettrés et les représentants du calife ne constituent pas une
« bourgeoisie » urbaine. Les villes n’ont pas
d’institutions spécifiques, et sans aucune autonomie, elles continuent
de verser l’impôt à l’État, dans un monde islamique qui ne connaît
pas la féodalisation.
2) Un foyer de connaissances
Les
Ommeyades les premiers développent lieux d’enseignement et bibliothèques.
Leur entreprise est poursuivie par les Abbassides, qui s’estiment dépositaires
de la science antique, qu’ils essaient de mettre au service de la
nouvelle religion. Ainsi, ils s’intéressent plus à l’astronomie
qu’aux ouvrages de droit (contenu dans le Coran). Fils d'Haroun
el-Rachid, le calife abbasside
Al-Mamun (813-833) crée à Bagdad un observatoire et la Maison de la
Sagesse, acquiert ou confisque textes grecs, syriaques, arabes, invite
traducteurs et savants, dont il privilégie l’approche rationaliste,
proclamant même que le Coran est une création humaine ! C’est le
début d’un « âge d’or » de la pensée islamique, du IX°
au XIII° siècle. I. II. III. IV. V. VI. VII. VIII. IX. X. Par
l’intermédiaire du monde arabo-islamique, l’Occident chrétien redécouvre
ainsi l’héritage philosophique et scientifique gréco-latin, préservé,
approprié et enrichi par les plus grands savants musulmans, dès le IX°
siècle.
Cet
« âge d’or » est cependant traversé par l’offensive des
Croisés en Palestine et les invasions mongoles du XIII° siècle :
Bagdad est rasée en 1258. Alors que les commentaires d’Aristote par
Averroès irriguent le renouveau de la pensée universitaire en Occident,
la falsafa (philosophie) est de plus en plus critiquée, sinon condamnée,
par les théologiens musulmans. La connaissance des êtres et du monde par
la raison, au lieu de s’en remettre exclusivement à la Révélation, sa
contestation de l’immortalité de l’âme valent à Averroès la
condamnation des autorités. Il est emprisonné, contraint de s’enfuir
et de se cacher, finissant sa vie dans la pauvreté.
² Au
XIV° siècle, le grand historien Ibn Khaldun regrette l’affadissement
de la pensée intellectuelle : « Lorsque le vent de la
civilisation eut cessé de souffler sur le Maghreb et sur al-Andalus, et
que le dépérissement des connaissances scientifiques eut suivi celui de
la civilisation, les sciences disparurent… On en trouve seulement
quelques notions, chez de rares individus, qui doivent se dérober à la
surveillance des docteurs de la foi orthodoxe ». Débarrassé des
Croisés, refusant un instrument de diffusion du savoir et de la modernité
aussi important que l’imprimerie[1],
le Dâr al-Islam (« demeure ou territoire de l’islam ») va
se replier sur lui-même au XV° siècle, sur la rive Sud d’une Méditerranée
marginalisée par rapport à l’Atlantique. Après l’influence perse,
c’est la suprématie des Turcs Ottomans (qui s’emparent également de
Byzance en 1453) qui s’impose sur les territoires arabo-musulmans
jusqu’au XIX° siècle, jusqu’à la colonisation européenne…
Sources :
L’Histoire, La Vérité sur l’Islam, décembre 2001 Sites :
pour accéder à une traduction française du Coran, en ligne :
www.islam.ch/francais/quran.cfm [1] Les imams parviennent à interdire toute reproduction mécanique du Coran. En terre musulmane, les Juifs, les Arméniens et Grecs chrétiens obtiennent dès le XV°-XVI° siècles l’autorisation d’imprimer leurs textes sacrés. Il faut pourtant attendre le début du XVIII° siècle pour que le sultan ottoman permette, à Istanbul, l’impression des livres (à l’exception du Coran, permise seulement en 1784, en arabe). En Egypte, c’est l’arrivée de Bonaparte, en 1798, qui permet la publication des premiers journaux et des premiers livres. Après son départ, il s’écoule plusieurs décennies pour que le réformateur Muhammad-Ali publie la première édition du Coran, en 1833, malgré l’hostilité des religieux (la première édition officielle date de 1925). |
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