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A) L'Islam B) Un vaste Empire C) Une civilisation féconde

C) Une civilisation féconde

 1) Une civilisation urbaine

L'Alhambra de Grenade

Signifiant en arabe "la citadelle rouge", l'Alhambra de Grenade (ici, la cour des Lions)

 

Étrangère au monde bédouin, la ville n’en fut pas moins une composante essentielle de la civilisation arabo-islamique, qui fut l’une des plus bâtisseuses. Les villes arabes, autour de l’an Mil, sont les plus grandes du monde : 200 000 à 300 000 habitants pour Cordoue, 500 000 pour Bagdad, qui seule peut rivaliser avec Constantinople.

Base arrière pour les nouvelles vagues de conquête, la ville est insérée dans le réseau de circulation des soldats, des marchandises et des ordres. Foyer religieux, où les médersas jouxtent les mosquées, foyer économique, autour des souks et des quartiers d’artisans, la ville constitue aussi un lieu de pouvoir, où se lève et se redistribue l’impôt, représenté par le gouverneur et le muhtasib (l’équivalent d’un préfet de police chargé de la police des marchés, du contrôle des prix et de l’ordre public).  
La ville (médina) est protégée par une muraille, parfois dominée par une citadelle, avec au cœur la grande mosquée, les médersas (écoles coraniques) autour desquelles s’organisent les souks, zones d’artisanat (orfèvres, relieurs, armuriers…) et de commerce (les marchands musulmans font connaître au monde chrétien les produits orientaux comme le riz, la pêche, l’abricot, le coton, le citron, l’orange, les épices, la porcelaine et le papier chinois). 
Les quartiers se développent spontanément selon des critères ethniques, religieux ou socio-professionnels. Des hammams (les bains) perpétuent la tradition des thermes romains, au centre de la sociabilité publique. Les habitations, sans ouverture sur la rue, préservent l’intimité des familles élargies, autour d’un patio central. A l’extérieur des murailles sont reléguées les activités polluantes ou dangereuses (teintureries, fours des potiers…)

Derrière ses murailles, « la ville musulmane s’édifie autour de deux pôles. D’une part, la grande mosquée qui réunit les fidèles pour la prière communautaire du vendredi. Et d’autre part, le palais du calife, du dynaste vassal de Bagdad ou du gouverneur de province. Parmi les édifices clés, on trouve quelquefois la bibliothèque, et toujours des bains par dizaines ou par centaines. La ville est aussi ponctuée d’espaces : les marchés, qui sont des centres diffus très largement étalés, et aux lisières, de la ville, des dépotoirs et les cimetières ». (André Miquel, in Les Cahiers de Science et Vie, n°71, octobre 2002, « Le monde des Mille et Une Nuits : le génie arabe. Enquête sur les secrets d’un âge d’or (VIIIè-XIIIè siècle).

Les grands commerçants (et parmi eux beaucoup de Juifs), les lettrés et les représentants du calife ne constituent pas une « bourgeoisie » urbaine. Les villes n’ont pas d’institutions spécifiques, et sans aucune autonomie, elles continuent de verser l’impôt à l’État, dans un monde islamique qui ne connaît pas la féodalisation.
A l’époque du calife Haroun el-Rachid (contemporain de Charlemagne et inspirateur d’une partie des Mille et Une Nuits), Bagdad est la plus grande ville du monde et son plus grand centre culturel. 

    2) Un foyer de connaissances

Les Ommeyades les premiers développent lieux d’enseignement et bibliothèques. Leur entreprise est poursuivie par les Abbassides, qui s’estiment dépositaires de la science antique, qu’ils essaient de mettre au service de la nouvelle religion. Ainsi, ils s’intéressent plus à l’astronomie qu’aux ouvrages de droit (contenu dans le Coran). Fils d'Haroun el-Rachid, le calife abbasside Al-Mamun (813-833) crée à Bagdad un observatoire et la Maison de la Sagesse, acquiert ou confisque textes grecs, syriaques, arabes, invite traducteurs et savants, dont il privilégie l’approche rationaliste, proclamant même que le Coran est une création humaine ! C’est le début d’un « âge d’or » de la pensée islamique, du IX° au XIII° siècle. Les avancées scientifiques se multiplient, lors de ces contacts : découverte de l’inclinaison de l’axe de la terre, mise au point de l’astrolabe, introduction du zéro en arithmétique, diffusion de l’algèbre... Des esprits scientifiques, comme le grand mathématicien et astronome persan du XII° siècle Omar Khayyam, sont aussi des poètes :

I.
Tout le monde sait que je n'ai jamais murmuré la moindre prière. Tout le monde sait aussi que je n'ai jamais essayé de dissimuler mes défauts. J'ignore s'il existe une Justice et une Miséricorde... Cependant, j'ai confiance, car j'ai toujours été sincère.

II.
Que vaut-il mieux? S'asseoir dans une taverne, puis faire son examen de conscience, ou se prosterner dans une mosquée, l'âme close? Je ne me préoccupe pas de savoir si nous avons un Maître et ce qu'il fera de moi, le cas échéant.

III.
Considère avec indulgence les hommes qui s'enivrent. Dis-toi que tu as d'autres défauts. Si tu veux connaître la paix, la sérénité, penche-toi sur les déshérités de la vie, sur les humbles qui gémissent dans l'infortune, et tu te trouveras heureux.

IV.
Fais en sorte que ton prochain n'ait pas à souffrir de ta sagesse. Domine-toi toujours. Ne t'abandonne jamais à la colère. Si tu veux t'acheminer vers la paix définitive, souris au Destin qui te frappe, et ne frappe personne.

V.
Puisque tu ignores ce que te réserve demain, efforce-toi d'être heureux aujourd'hui. Prends une urne de vin, va t'asseoir au clair de lune, et bois, en te disant que la lune te cherchera peut-être vainement, demain.

VI.
Le Koran, ce Livre suprême, les hommes le lisent quelquefois, mais, qui s'en délecte chaque jour? Sur le bord de toutes les coupes pleines de vin est ciselée une secrète maxime de sagesse que nous sommes bien obligés de savourer.

VII.
Notre trésor? Le vin. Notre palais? La taverne. Nos compagnes fidèles? La soif et l'ivresse. Nous ignorons l'inquiétude, car nous savons que nos âmes, nos coeurs, nos coupes et nos robes maculées n'ont rien à craindre de la poussière, de l'eau et du feu.

VIII.
En ce monde, contente-toi d'avoir peu d'amis. Ne cherche pas à rendre durable la sympathie que tu peux éprouver pour quelqu'un. Avant de prendre la main d'un homme, demande-toi si elle ne te frappera pas, un jour.

IX.
Autrefois, ce vase était un pauvre amant qui gémissait de l'indifférence d'une femme. L'anse, au col du vase... son bras qui entourait le cou de la bien aimée!

X.
Qu'il est vil, ce cœur qui ne sait pas aimer, qui ne peut s'enivrer d'amour! Si tu n'aimes pas, comment peux-tu apprécier l'aveuglante lumière du soleil et la douce clarté de la lune?

Par l’intermédiaire du monde arabo-islamique, l’Occident chrétien redécouvre ainsi l’héritage philosophique et scientifique gréco-latin, préservé, approprié et enrichi par les plus grands savants musulmans, dès le IX° siècle.

Un héritage commun : l’Antiquité gréco-romaine – Chronologie

476 : fin de l’Empire romain d’Occident ; l’Empire romain se replie en Orient avec Byzance comme capitale.
529 : l’empereur Justinien ferme l’école d’Athènes (un des grands centres où continue de s’élaborer la pensée grecque avec Alexandrie) car il juge ses savants trop païens ; ceux-ci sont accueillis en partie à la cour du roi de Perse à Ctésiphon.
632-751 : grande conquête arabe ; l’islam s’étend de la Perse à l’Espagne.
IX° siècle : le calife de Bagdad Al-Mamun obtient de l’empereur byzantin des copies des manuscrits des auteurs grecs.
A partir du IX° siècle, les savants byzantins se tournent davantage vers les auteurs grecs de l’Antiquité.
IX° siècle : une nouvelle discipline, l’algèbre, procède du nom et de l’œuvre d’Al-Khwarizmi (résolution des équations du premier et du second degré).
XI° siècle : les médecins arabes sont capables de faire des opérations de l’œil ou une trachéotomie.
XI°- XIII° s. : les universités musulmanes en Andalousie (notamment à Tolède, à Palerme) transmettent la pensée antique, musulmane et orientale à des étudiants européens.
Grâce à 3 traductions hébraïques et 1 traduction latine effectuée à Tolède, le Canon de la médecine d’Ibn Sinna (Avicenne), datant du début du XI°, reste la base de l’enseignement médical
en Europe jusqu’au XVII° siècle.
Al Idrisi, Arabe originaire d’Espagne, écrit en Sicile en 1154 Le livre du roi Roger : cette œuvre, une fois traduite en latin, fit découvrir la géographie à l’Europe médiévale.
Au début du XIII° siècle, le savant italien Fibonacci, après des études en Espagne et en Orient, introduit les « chiffres arabes » en Occident. A la même époque, le médecin et philosophe Averroes (Ibn Rushd – XII° siècle) est traduit de l’arabe en latin, à Palerme. Sa philosophie rationaliste, issue de l’étude d’Aristote, influence l’Occident chrétien jusqu’au XVI° siècle.
1204 : Byzance pillée par les croisés ; vol de manuscrits et d’œuvres d’art rapportés en Occident.
1453 : prise de Byzance par les Turcs ottomans ; émigration vers l’Occident de savants byzantins emportant avec eux de nombreux manuscrits.

Cet « âge d’or » est cependant traversé par l’offensive des Croisés en Palestine et les invasions mongoles du XIII° siècle : Bagdad est rasée en 1258. Alors que les commentaires d’Aristote par Averroès irriguent le renouveau de la pensée universitaire en Occident, la falsafa (philosophie) est de plus en plus critiquée, sinon condamnée, par les théologiens musulmans. La connaissance des êtres et du monde par la raison, au lieu de s’en remettre exclusivement à la Révélation, sa contestation de l’immortalité de l’âme valent à Averroès la condamnation des autorités. Il est emprisonné, contraint de s’enfuir et de se cacher, finissant sa vie dans la pauvreté.     ²

Au XIV° siècle, le grand historien Ibn Khaldun regrette l’affadissement de la pensée intellectuelle : « Lorsque le vent de la civilisation eut cessé de souffler sur le Maghreb et sur al-Andalus, et que le dépérissement des connaissances scientifiques eut suivi celui de la civilisation, les sciences disparurent… On en trouve seulement quelques notions, chez de rares individus, qui doivent se dérober à la surveillance des docteurs de la foi orthodoxe ». Débarrassé des Croisés, refusant un instrument de diffusion du savoir et de la modernité aussi important que l’imprimerie[1], le Dâr al-Islam (« demeure ou territoire de l’islam ») va se replier sur lui-même au XV° siècle, sur la rive Sud d’une Méditerranée marginalisée par rapport à l’Atlantique. Après l’influence perse, c’est la suprématie des Turcs Ottomans (qui s’emparent également de Byzance en 1453) qui s’impose sur les territoires arabo-musulmans jusqu’au XIX° siècle, jusqu’à la colonisation européenne…                         

Sources : L’Histoire, La Vérité sur l’Islam, décembre 2001
L’Histoire, Les Arabes de la Mecque aux banlieues de l’Islam, janvier 2003
D. Sourdel, J. Sourdel-Thomine, Vocabulaire de l’Islam, Que sais-je ?, PUF, 2002
Aziz Ahmad, La Sicile islamique, Publisud, 1990.

Sites : pour accéder à une traduction française du Coran, en ligne :  www.islam.ch/francais/quran.cfm
Le site de l’Institut du monde arabe :
http://www.imarabe.org/perm/mondearabe/theme/docs/2.html#2-00

 

[1] Les imams parviennent à interdire toute reproduction mécanique du Coran. En terre musulmane, les Juifs, les Arméniens et Grecs chrétiens obtiennent dès le XV°-XVI° siècles l’autorisation d’imprimer leurs textes sacrés. Il faut pourtant attendre le début du XVIII° siècle pour que le sultan ottoman permette, à Istanbul, l’impression des livres (à l’exception du Coran, permise seulement en 1784, en arabe). En Egypte, c’est l’arrivée de Bonaparte, en 1798, qui permet la publication des premiers journaux et des premiers livres. Après son départ, il s’écoule plusieurs décennies pour que le réformateur Muhammad-Ali publie la première édition du Coran, en 1833, malgré l’hostilité des religieux (la première édition officielle date de 1925).